ANALYSE ECONOMIQUE : le point de vue d'Anne-Sophie ALSIF
Nous avons fait appel à Anne-Sophie ALSIF, cheffe économiste de BDO France. Spécialiste des questions économiques internationales, européennes ainsi que des problématiques de compétitivité des entreprises et de commerce international, elle intervient régulièrement dans les médias nationaux (Le Figaro, le Monde, le Parisien, HuffPost, les Echos, TF1, France 2, BFM, RTL, RFI, TV5 Monde)…, pour expliquer les grandes problématiques économiques mondiales.
Face à la situation tout à fait inédite à laquelle nous faisons face sur le plan économique, la FFC et son président Patrick CHOLTON, se mobilisent une fois de plus pour apporter le maximum de clés de lecture à leurs adhérents, afin de piloter au mieux leur activité. Vous retrouverez désormais cette analyse chaque trimestre.
« La crise ukrainienne intervient
dans un contexte de reprise économique générant des tensions inflationnistes«
La crise ukrainienne intervient dans un climat de forte croissance économique en France en raison de la reprise post crise sanitaire, des effets de la politique du « quoi qu’il en coûte » et du déploiement des plans de relance stimulant l’investissement des entreprises. Cette reprise génère des tensions inflationnistes maitrisées jusqu’ici avec un taux s’élevant à 1,6% en 2021 en France mais devant croître significativement en 2022 en raison de la crise ukrainienne et de la forte demande mondiale. Cette crise par la hausse de l’inflation énergétique pourrait favoriser une augmentation de l’épargne et obérer la consommation des ménages, moteur de la reprise. Ainsi, la crise impacterait négativement le taux de croissance français de 0,5 point en 2022 à l’instant T.
Le taux de croissance en France devrait rester robuste malgré les tensions inflationnistes générées par la crise. Après 7% de croissance en 2021, la reprise devait s’élever à 4,2% cette année avant le début de la crise ukrainienne. En raison des conséquences positives du « quoi qu’il en coûte », les indicateurs macroéconomiques sont favorables. La reprise repose sur la consommation des ménages et l’investissement des entreprises. La consommation reste soutenue par le taux d’épargne des ménages à 19,3% en 2021 (après un pic à 21,4% en 2020) qui baissera progressivement à 16,1% en 2022. Le taux de chômage devrait baisser en dessous des 8% cette année en raison d’une forte baisse du taux de chômage des jeunes. Le taux de marge des entreprises a retrouvé son niveau d’avant crise à 33,4% en 2022 d’après la prévision de janvier 2022.
Néanmoins, la crise engendrant une forte hausse de l’inflation énergétique impactera négativement la croissance cette année. L’acquis de croissance pour 2022 est évalué à environ 3% à la fin du T1. Dès lors, le taux de croissance en France pour 2022 serait de 3,7% soit une baisse de 0,5 point par rapport à la prévision du mois de janvier 2022 s’élevant 4,2%. Cette dégradation du PIB s’explique par la forte hausse des prix de l’énergie. Le taux d’inflation devrait s’élever à 4% cette année avec des hausses du prix du gaz et du pétrole pouvant aller de 10 à 30% encore jusqu’à l’été 2022 et en fonction de l’évolution de la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, l’estimation du prix du pétrole, baril de Brent en dollars serait de 100 et celui du gaz (euro/MWh) à 110 pour 2022. L’inflation énergétique devrait rester élevée au-delà de 2022 en raison du processus conjoint à la crise de la transition écologique. Ainsi, même si le prix du baril de pétrole baisse à partir de 2023, les prix du gaz et de l’électricité resteront élevés.
Les sanctions économiques auront des effets significatifs à moyen/ long terme. La difficulté dans l’estimation de l’impact des sanctions demeure les mesures prises par les gouvernements concernant la dépendance énergétique. La Russie a une économie très peu diversifiée et dépendante des hydrocarbures. Les combustibles minéraux représentent 42% des exportations de la Russie en 2020. Les pays européens y sont dépendants, particulièrement l’Allemagne ou encore les Pays-Bas.
Les sanctions infligées à la Russie sont principalement d’ordre financières. Les sanctions comprennent notamment l’exclusion de certaines banques russes de l’outil de communication international SWIFT, le gel des réserves en devises de la banque centrale russe, l’interdiction de négocier la dette souveraine russe, la restriction de l’accès de la Russie aux capitaux étrangers, le gel des avoirs et l’interdiction de voyager pour certains fonctionnaires et oligarques russes, les sanctions à l’encontre des secteurs russes de l’énergie et de la défense ou encore le refus de la certification du Nord Stream 21. Ces sanctions, en fonction de la longueur du conflit auront un impact plus significatif sur la croissance européenne à partir du deuxième trimestre. Ce sont les sanctions sur l’importation de biens énergétiques qui auront le plus d’impact sur les coûts des entreprises notamment de transport avec une forte hausse des intrants. Les mesures mises en oeuvre par le gouvernement, notamment le « Plan de résilience » aura un impact conséquent pour les secteurs tels que l’aéronautique, les transports, l’agroalimentaire.
Les tensions inflationnistes entraîneront la mise en oeuvre d’une politique monétaire moins accommodante. La Banque centrale européenne a indiqué jeudi 10 mars souhaiter arrêter son programme de rachats de titres obligataires au troisième trimestre. L’objectif est de modérer les tensions inflationnistes qui vont continuer de croître et de normaliser la politique monétaire sans affecter la croissance.
Cette annonce a eu un fort impact sur les marchés financiers faisant chuter les bourses. C’est surtout l’aveu que la situation inflationniste est structurelle et non conjoncturelle. Le risque concernant la croissance est une perte de confiance des entreprises et des ménages préférant épargner plutôt que d’investir et consommer.
Or, la consommation reste la première contribution à la croissance du PIB, ce qui entrainerait un choc négatif significatif sur la croissance. De plus, en 2023, les Etats membres de la zone euro doivent de nouveau respecter le Pacte de stabilité et de croissance et le déficit public de 3%. Même si cela n’est pas possible à court terme, le nouveau Président français devra mettre en oeuvre une politique budgétaire moins accommodante, qui pourrait également contribuer à une hausse du taux d’épargne de précaution.
Dès lors, les premières mesures économiques mises en place pour le prochain gouvernant seront déterminantes sur la situation économique de la France à moyen terme.
A propos d’Anne-Sophie ALSIF :
Anne-Sophie ALSIF est cheffe économiste de BDO France. Elle est diplômée de Sciences Po Paris, de l’université Paris Dauphine et titulaire d’un doctorat en sciences économiques de l’EHESS.
Anne-Sophie a débuté sa carrière au sein d’un fonds d’investissement. Elle rejoint le ministère des Affaires étrangères en 2013 au sein de la Direction de l’économie internationale, puis devient conseillère ministérielle auprès du ministre des Affaires européennes en charge des questions économiques, financières et commerciales.
Elle a également travaillé à France Stratégie et à la Fabrique de l’industrie, auprès de Louis Gallois. Elle est spécialiste des questions économiques internationales, européennes ainsi que des problématiques de compétitivité des entreprises et de commerce international. Elle a notamment travaillé sur les questions du protectionnisme à travers son ouvrage « la France est-elle exposée aux risques protectionnismes » publié au Presses des Mines. Elle est également professeur d’économie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et membre du jury de l’École nationale d’administration en économie. Elle est est membre du Directoire de l’Association française des Sciences économiques.
Anne-Sophie ALSIF intervient régulièrement dans les médias : chronique économique hebdomadaire sur France info TV ; tribune économique mensuelle dans le journal Forbes ; interviews régulières dans les journaux tels que le Figaro, le Monde, le Parisien, le HuffPost, les Echos.
Interventions régulières télévisuelles (C’dans l’air, L’info du vrai, Les Experts, Late&Smart, journaux télévisés) et sur les radios (France culture, France info, RTL, RFI, France 24, TV5 Monde).